Club Mamans

Avoir une fille : entre bonheur et angoisse irrationnelle

Avant d’avoir des enfants, bien avant, dans ma jeunesse, je voulais avoir 2 filles et un garçon.  Puis en grandissant, en me rendant compte de la difficulté du monde dans lequel on vit, j’ai inconsciemment préféré avoir des garçons. Je les considérais plus « armé » à s’en sortir dans ce monde de merde. J’avais déjà peur pour mes filles qui n’existaient pas. Une angoisse irrationnelle.

Quand j’ai eu Adam, au fond de moi j’étais soulagé d’avoir ce petit homme. Et puis j’ai eu Hana. Ma petite Hana, douce et fragile. J’étais amoureuse de cette petite beauté mais mon angoisse de maman m’a dévastée.

Alors bien sûr, j’ai peur pour mon fiston. La maman que je suis sera toujours sur le qui-vive, prête à dégainer les griffes si on s’attaque à mon enfant. Mais alors avec ma fille, j’ai une angoisse qui me paralyse quand je pense aux dangers supplémentaires auxquels elle va être confrontée, simplement parce qu’elle est une fille.

Ces derniers temps, on a vu se délier beaucoup de langues. Les femmes se sont mises à dénoncer leurs agresseurs. Les #MeToo et #BalanceTonPorc ont fleurit sur les réseaux sociaux… Et en lisant ces milliers de témoignages je me suis rendu compte d’à quel point le danger est commun, ordinaire, partout.

Moi aussi je pourrais balancer mon porc.

C’était mon premier CDI. Fraichement diplômée j’ai décroché ce job qui représentait tout. Mon indépendance, mon autonomie, ma maturité. Alors j’ai tout donné pour être au top.

Et puis mon chef a commencé à être étrange. Lorsqu’il était avec moi, il parlait de cul systématiquement. Au départ je ne relevais pas, je ne savais pas si je devais relever d’ailleurs ! Etait-ce normal ? C’était peut-être courant de parler de ça ? Alors je l’entendais faire mille allusions, à me poser des questions que j’esquivais du mieux que je pouvais.

Et puis, il est passé à l’étape au-dessus. Finis les gentilles allusions, le voilà qu’il commençait à me faire de vrais appels du pied. J’ai mis un peu de temps à comprendre de quoi il s’agissait. J’étais tellement conne à l’époque ! Après tout c’était mon chef, c’était mon premier job, c’était important de ne pas le perdre ! Alors je faisais semblant de ne pas comprendre.

Et puis c’est devenu assez évident.

Parfois, dans le cadre du travail, je devais dormir à l’hôtel car mes clients étaient loin de chez moi. Cette fois-là, mon chef m’accompagnait. Nous avions dîner ensemble ce soir-là, et il a dû sentir que c’était sa chance ou jamais, alors il a multiplié les allusions, plus ou moins directes, les propositions, plus ou moins obscènes. Une sourde angoisse commençait à grandir. J’ai été ferme, lui demandant d’arrêter. Il m’a répondu qu’il « plaisantait », que je n’étais qu’une « enfant prude ».

J’ai écourté le repas et me suis réfugiée dans ma chambre.

J’ai entendu le bruit d’un sms. « chambre 306 ».

Il me donnait son numéro de chambre. Je n’ai pas répondu.

Un autre sms. « rejoins moi ou je viens te chercher »

Panique à bord. Connaissait il mon numéro de chambre ? Allait il réellement venir ?

Je lui répondit « je vais me coucher. A demain »

Un autre sms « n’oublie pas de boire ton verre de lait et de lire une histoire. Gamine ! »

Je n’ai pas répondu.

Un autre sms « Allez viens, on va bien s’amuser… Et ça me mettra de bonne humeur pour demain… »

Demain. Mon évaluation. Il devait me « juger » et définir si j’étais faite pour le job.

Je n’ai pas répondu. J’avais envie de vomir.

Il n’a plus rien envoyé.

Le lendemain au petit-déjeuner, il a fait comme si de rien n’était. J’ai fait pareil.

La journée s’est passée sans encombres. Et le soir venu, rebelote.

« C’est bon, tu as finis tes caprices ? Tu veux bien venir cette fois ? »

« Avec tous ces messages, tu sais que je peux porter plainte pour harcèlement sexuel ? »

« Essaye ! »

Finalement j’ai démissionné.

En parlant avec un collègue, délégué du personnel, il m’a dit que je n’étais pas la première à avoir été victime de ses assauts, qu’il le faisais systématiquement avec les nouvelles recrues un peu jolies, qu’il était le chouchou du grand chef et qu’il était quasiment intouchable.

Une arrogance insupportable. Avec le recul je me dis que j’aurais dû porter plainte. Mais je ne suis pas sûre que j’aurai été entendue. J’avais 23 ans, je ne me sentais pas avoir les épaules pour tout ça. J’ai préféré m’en aller.

J’ai passé 4 mois sans revenus. Après une démission c’est systématique. Et j’ai retrouvé un travail.

Aujourd’hui je n’ai plus vraiment de « porc » à dénoncer. Des clients un peu lourds parfois, des remarques un peu limites, mais j’ai l’impression que c’est le lot de toutes les femmes. Alors on se tait.

Mais ma fille… Rien que de me dire qu’elle sera confrontée à ce genre de situation plus tard, ça me révulse ! Alors je vais essayer de lui transmettre les armes, celles que je n’ai pas utilisé moi, mais qu’elle saura utiliser elle. J’ai l’espoir que dans 20 ans, les femmes seront suffisamment fortes pour SYSTÉMATIQUEMENT parler, décourageant ainsi les porcs de toutes espèces.

En tout cas la mienne parlera. Ma fille ne se laissera pas faire, et dénoncera. Et je serai avec elle pour le faire.